Quand le Rassemblement National soutient le travail gratuit pour les jeunes

Pour le Rassemblement National, des stages rémunérés seraient une grave menace pour les entreprises françaises.
Pour le Rassemblement National, des stages rémunérés seraient une grave menace pour les entreprises françaises.

D’après un sondage publié le 4 mars 2024 et réalisé par l’IFOP, les 18-24 ans seraient 29 % à vouloir voter pour la liste du Rassemblement National aux élections européennes de juin 2024. Pourtant, le parti ne les défend pas vraiment, en atteste une directive, totalement passée sous les radars la semaine dernière. 
Le sujet était dans les tuyaux depuis l’été dernier : la Commission européenne et le Parlement européen vont revoir les règles concernant l’accueil des stagiaires en entreprise. 

Un rapport avait été adopté en plénière à la mi-juin 2023, invitant la Commission à proposer une directive pour des stages de qualité et à réviser le cadre existant. Néanmoins, les députés avaient pressé la commission d’instaurer un élément essentiel : une rémunération obligatoire, afin que les frais vitaux soient couverts : alimentation, logement, transports. L’objectif poursuivi était également que les stages deviennent financièrement accessibles aux jeunes qui ne peuvent pas se permettre de travailler gratuitement. Comme le dit Laurence Farreng de Renew « Pourtant, encore trop souvent, des jeunes doivent renoncer à des stages, car ils ne sont pas rémunérés ou pas assez ».

Qui voulait que les stagiaires soient suffisamment rémunérés pour que leurs besoins vitaux soient couverts ? Quasiment tous les députés européens français sauf le Rassemblement National. Au nom de son groupe, Dominique Bilde a indiqué « En voulant toucher aux indemnisations et aux conventions de stage, l’Union européenne menace de déstabiliser tout le système, comme elle a d’ailleurs tenté de le faire avec le salaire minimum européen. ». 

La semaine dernière, la commission a rendu partiellement sa copie avec une proposition de directive. Elle aborde deux situations problématiques et illégales : lorsque les stages sont utilisés aux fins prévues, mais qu’ils ne remplissent pas les conditions nécessaires à la réussite professionnelle ou pédagogique des stagiaires, et les stages qui ne sont que des emplois déguisés.

La commission pointe la concurrence déloyale qui s’exerce entre les travailleurs lorsque les entreprises ne fonctionnent qu’avec des stagiaires. 

Que contient la directive de la commission ? Tout d’abord, un principe de non-discrimination entre les salariés et les stagiaires. Les structures — entreprises et administrations — devront traiter les stagiaires comme des salariés à part entière.

La directive exige des États membres qu’ils prévoient des contrôles et des inspections efficaces pour détecter les cas où les offres de stages sont utilisées pour pouvoir des postes durables. Ils devront aussi prendre des mesures coercitives envers les entreprises qui abusent des stages pour ne pas avoir à embaucher. Les entreprises devront fournir des informations aux administrations. 

Lorsqu’elle sera définitivement adoptée — le processus en est à son commencement — les États membres auront deux ans pour la transposer en droit interne. Les États membres pourront évidemment fixer des normes plus élevées que celles prévues par la directive et confier aux partenaires sociaux la mise en œuvre de la directive. 

Dans son considérant 24, la Commission indique que les États membres devront « mettre en place des mesures appropriées pour lutter contre les relations de travail régulières déguisées en stages ». Le considérant 25 laisse entrevoir les futures difficultés pour la France « Il est nécessaire de garantir l’efficacité des contrôles et des inspections menés par les autorités compétentes, car ils sont essentiels pour protéger les droits des stagiaires et lutter contre les relations d’emploi régulières déguisées en stages. Ils devraient être ciblés afin d’éviter le remplacement d’un emploi régulier par des stages déguisés et de protéger les droits des travailleurs ».

Enfin, l’article 5 de la directive pose un certain nombre d’éléments objectifs permettant de détecter les faux stages. 

La directive va désormais être envoyée au Parlement européen, puis aux États membres. Mais, du côté français, il va falloir se préparer dès maintenant et c’est une mauvaise nouvelle pour Bercy. Alors que Bruno Le Maire trompette qu’il va falloir faire des économies, avec cette directive, il va contraire falloir desserrer les cordons de la bourse pour recruter des inspecteurs du travail. 

D’après un rapport de la Cour de Comptes, en 2022, pour 188 postes ouverts, il y avait 398 candidats. Or, tel que le laisse présager la directive, l’inspection du travail devra être proactive dans la détection des abus. 

L’autre chantier amusant de cette directive va être la concertation avec les partenaires sociaux. D’ici à ce que la directive soit traduite en droit français, cela nous amènera au mandat d’un autre locataire de l’Élysée et à une nouvelle configuration de l’Assemblée nationale. Il faudra donc que les candidats potentiels à un bail longue durée au 55 rue du faubourg Saint-Honoré commencent à créer un lien avec les partenaires sociaux. 

Qu’en sera-t-il de la rémunération des stagiaires ? En France, les stages ne sont indemnisés qu’à partir d’une certaine durée et on devra attendre la composition du futur Parlement européen. À l’échelle de toute l’Union européenne, c’est le groupe Identité et démocratie (dans lequel se trouve le Rassemblement National) qui s’y est opposé avec le groupe ECR (dans lequel est intégré Reconquête !). 

Il est cocasse de constater que le parti qui se revendique comme étant celui qui défend les jeunes, ne les a justement pas défendus au Parlement européen et soutient qu’ils doivent travailler gratuitement, pour combler les « graves pénuries de main-d’œuvre [qui] menacent de nombreuses entreprises françaises ».