Niche encombrée et inélégance parlementaire du Garde des Sceaux

Si la gauche de l'hémicycle était bien remplie, la droite était très absente ce jeudi 4 avril 2024.
Si la gauche de l'hémicycle était bien remplie, la droite était très absente ce jeudi 4 avril 2024.

Ce jeudi 4 avril 2024, c’était le jour de la niche écologiste. Une « niche » parlementaire est une journée, réservée aux groupes minoritaires ou d’opposition pour défendre leurs textes en hémicycle. Chaque groupe a droit à une journée par session. Pour dire les choses simplement, sous cette législature, tous les groupes ont droit à une journée par session, sauf Renaissance. Les non-inscrits sont également privés de journée.

La niche commence le matin à 9 h et s’achève obligatoirement à minuit. On ne prolonge jamais la séance pour une niche. L’ordre de présentation des textes ainsi que la date des niches sont réglés en conférence des présidents. 

Mais, le problème des niches tient au temps. Chaque texte fait l’objet d’une discussion générale, avec prise de parole du Gouvernement. Les amendements sont ensuite examinés. L’examen s’achève avec les explications de vote et le vote en lui-même. 

Dans la meilleure des hypothèses, en une journée de niche, les députés peuvent examiner quatre textes. Mais, dans le cas de la niche écologiste, seulement deux textes ont été examinés : la proposition de loi visant à protéger la population des risques liés aux substances per- et polyfluoroalkylées et la proposition de loi visant à garantir un revenu digne aux agriculteurs et à accompagner la transition agricole. Après une âpre bataille, les deux textes ont été adoptés. La bataille ne fait que commencer, le Sénat doit inscrire les deux textes dans son ordre du jour.  

Pourtant, en regardant l’ordre du jour, on constate que les écologistes ont enregistré huit textes pour leurs niches. 

C’est d’ailleurs devenu une habitude. Pour la session 2022-2023, les écologistes avaient déposé sept textes, le groupe Horizons quatre, les communistes six, La France Insoumise douze, le groupe LIOT sept, les Républicains quatre, le MoDem quatre, le Rassemblement National sept et les socialistes dix. 

Pour la session 2023-2024, les écologistes ont déposé huit textes, le groupe Horizons six, La France Insoumise est redescendue à neuf, les Républicains dix, le MoDem est resté constant avec quatre textes, de même que le Rassemblement National avec sept textes et les socialistes sont montés à dix textes. Pour la session 2023-2024, il reste la niche communiste, qui aura lieu le jeudi 30 mai 2024 et la niche LIOT, qui se déroulera le jeudi 13 juin 2024. 

Beaucoup de textes et peu de temps : pourquoi autant de propositions de loi ? Un membre du groupe écologiste apporte la réponse : « les propositions de loi, avant d’arriver en hémicycle, doivent forcément passer devant les commissions compétentes. Donc, à défaut d’avoir le débat en hémicycle, on peut avoir le débat en commission, dans un format plus restreint. Cela amène la discussion, même si on ne peut aller au bout du texte ». 

Un autre membre d’un groupe de l’opposition donne une clef de décryptage* à cet embouteillage « la niche, ça permet de faire de la diplomatie parlementaire au sein d’un groupe. Cela va faire plaisir à certains membres, qui ne sont pas forcément très connus qui vont pouvoir défendre leur texte. Cela va les mettre en valeur, au moins en commission et plus si le texte arrive en hémicycle. Cela permet aussi de faire de la communication et de connaître les positions des uns et des autres sur tel ou tel sujet, ainsi que la position du Gouvernement ». 

Justement : la position des uns et des autres, on aurait aimé la connaître, non pas sur les substances dangereuses ou le revenu des agriculteurs — d’autant que les rangs sur la droite de l’hémicycle étaient vides à certains moments de l’après-midi, mais sur la proposition de loi constitutionnelle pour un article 49 respectueux de la représentation nationale. 

En substance, Jérémie Iordanoff proposait tout simplement d’obliger le Gouvernement à demander la confiance du Parlement et de supprimer le désormais trop connu article 49 alinéa 3. Même s’il est probable que le texte n’aurait pas été adopté, il aurait été intéressant d’avoir un débat constitutionnel, d’autant que des amendements avaient été déposés. La confrontation des points de vue sur la nature même du régime de la Vᵉ République aurait été révélatrice des doctrines politiques des groupes. Le texte n’aurait pas fondamentalement changé la vie des Français, il est probable qu’Antoine Léaument aurait encore martyrisé tout le monde avec un éloge de la Révolution de 1789, mais il aurait pu avoir lieu dans une assemblée en majorité relative. 

Hélas. Le texte sur le revenu des agriculteurs s’est enlisé au point qu’un après-midi entier ou presque n’a pas suffi pour examiner les 68 amendements. Aux alentours de 23 h, une lueur d’espoir pointait son nez. À défaut d’avoir un examen complet du texte, la discussion générale pouvait avoir lieu. 

Sauf que le Grinch alias Éric Dupond-Moretti s’en est mêlé. En tant que Garde des Sceaux, il est normal qu’il soit celui qui porte la parole du Gouvernement sur un tel texte. Mais, pour le respect du Parlement et des parlementaires, on repassera. Car, si le temps de parole des députés est limité, celle du Gouvernement ne l’est pas. Raquel Garrido l’avait pressenti en faisant un rappel au règlement, forte d'une expérience passée, invitant poliment le Garde des Sceaux à faire preuve « d’austérité » dans sa prise de parole. Les espoirs des députés ont été douchés en voyant le nombre de feuilles étalées sur la tribune. 

Le Garde des Sceaux a bien parlé une trentaine de minutes, au point qu’Élodie Jacquier-Laforge, présidente de séance, l’a invité à conclure, car minuit avait sonné. On ne saura pas ce que pensent les députés de la proposition de loi constitutionnelle de Jérémie Iordanoff. Par contre, tout le monde aura bien intégré qu’Éric Dupond-Moretti était incapable de faire preuve d’élégance parlementaire, lui qui s’était déjà distingué l’année dernière par un bras d’honneur. Cette fois-ci, il n’était pas physique, mais le message était le même. 


* Les nerds qui lisent ceci sont priés de ne pas hurler "chiffrement". On connaît la différence entre chiffrement et cryptage.