L’euthanasie de la démocratie parlementaire

La réforme des retraites : un désastre parlementaire
La réforme des retraites : un désastre parlementaire

Le titre peut sembler assez fort, voire excessif. Que le lecteur excuse ce mouvement de méchante humeur, vraisemblablement guidé par la fatigue.

Au début du mois de février, l’Assemblée nationale a eu à se prononcer dans des conditions relativement désastreuses, sur le projet de loi rectificatif de financement de la sécurité sociale pour 2023. Dans un précédent article, il avait souligné que le véhicule législatif choisi n’était pas le plus pertinent ni celui susceptible d’apaiser les tensions

En France, il est des sujets avec lesquels on ne plaisante pas : les retraites, « patrimoine de ceux qui n’en ont pas » en fait partie. Avant même d’arriver au bureau de l’Assemblée nationale ou du Sénat, un texte qui réforme les retraites doit respecter des préalables. 

En premier, être concerté et négocié avec les syndicats et les différentes organisations. Corps intermédiaires indispensables, ils sont ceux qui savent le mieux comment un texte va être ressenti. Sans négociation ni concertation, point de salut du Gouvernement. On peut le déplorer, mais celui qui ne veut pas passer par cette étape ne doit pas faire de politique.  

Autre préalable : la réforme doit être comprise par la majorité des citoyens. Si, à l’issue d’une émission de télévision ou de radio, les Français ont plus d’interrogations que de réponses, c’est qu’il y a un problème.

Enfin, on ne bouscule pas les parlementaires. Si on est mesquin, on peut dire qu’ils sont là pour ça. Sauf que derrière les parlementaires, il y a les agents de l’Assemblée nationale et du Sénat, les collaborateurs parlementaires, les journalistes parlementaires — qui ne sont pas tous salariés — et les « simples » citoyens. 

En détournant de son usage initial l’article 47-1, le Gouvernement a tout fait pour crisper les débats. De manière générale, surtout avec l’actuelle majorité relative à l’Assemblée nationale, il suffit parfois de dire « bonjour » pour que le niveau sonore soit identique à celui d’un concert de Rammstein. On peut en rire, mais, au bout de plusieurs jours, les nerfs commencent à lâcher. Ce qui donne un spectacle consternant. « Assassin », geste de décapitation, ministre qui hurle, des députés qui manquent de se taper dessus et hier, dans un autre débat, un ministre de la Justice qui fait un bras d’honneur à des députés. On n’aurait jamais cru écrire ce genre de choses. 

Depuis jeudi, le Sénat examine en séance publique la réforme des retraites. Les débats sont plus sereins, mais ils n’en sont pas moins longs et épuisants. D’autant que le Sénat a siégé tout le week-end. Il a repris lundi matin à 10 h pour s’achever dans la nuit à 3 h du matin. Il a repris mardi à 14 h 30 et il est question de faire durer le déplaisir jusqu’à 5 h du matin. Objectif : le vote de l’article 7. Tenir le délai coûte que coûte. Au détriment des personnes qui suivent les débats. 

On a tendance à l’oublier : les débats sont retransmis en direct. Qui pourrait suivre à ces heures farfelues ? Est-il démocratique, est-il sain d’adopter des lois à des heures où les citoyens « ordinaires » dorment ? Citoyens ordinaires dont le métier n’est pas de suivre les tribulations parlementaires. Qui ont un autre métier. On peut se gausser autant qu’on veut en disant que la rue ne fait pas la loi et que le Parlement est l’expression de la démocratie. Mais, pour que les citoyens puissent être éclairés, ils doivent être correctement informés. 

Peut-on considérer être correctement informé quand on ne sait pas que les débats se poursuivent jusqu’à 5 h du matin ? Les parlementaires adorent dire en séance « n’oublions pas que les Français nous regardent ». Ils sont pourtant les premiers à l’oublier. Notons que c’est plus rare à l’Assemblée nationale, grâce à Emmanuelle Ménard, qui n’oublie jamais de demander si les débats se prolongent. Étant non inscrite, elle est souvent au même niveau d’informations que les Français derrière leurs écrans. Ils aiment aussi dire « nous sommes en responsabilité ». Cette phrase, qui ne veut absolument rien dire, montre exactement le contraire.

Quand on est responsable, on refuse de malmener le débat public. Que ce soit sur les retraites ou sur un autre sujet. 

N’est-ce pas un manque de respect envers les citoyens de légiférer ainsi ? N’est-ce pas entretenir la confusion dans certains esprits ? La rengaine est connue « s’ils font des trucs la nuit, c’est en catimini, c’est pour cacher des choses ! ». Le calendrier a été à ce point malmené que les parlementaires discutent de sujets — annoncés comme essentiels — au moment où les Français dorment. Et pourquoi ? Pour se pavaner dans les émissions politiques du matin et claironner « nous avons gagné ».  

Légèreté blâmable supplémentaire : la transmission des débats n’est pas connue du grand public. Il faut savoir où aller pour suivre les débats, entre Twitter, chaîne TNT, sites des chambres, etc. Même les habitués des débats parlementaires ont perdu le fil, tellement l’information était lacunaire. 

Notons que pendant que le Sénat débat de la réforme des retraites, l’Assemblée nationale planche sur des textes en séance publique, textes qui touchent les libertés fondamentales. 

Olivier Dussopt, pour défendre la réforme des retraites — dont on sait pertinemment qu’il n’en est pas l’auteur, mais le fusible — explique qu’elle ne fera aucun perdant. En réalité, tout le monde a perdu, y compris la démocratie parlementaire. La XVIe législature n’a même pas un an et les textes sont préparés avec moins de soins qu’un cheeseburger dans un fast-food. Si les parlementaires ne veulent pas se retrouver en instance de divorce avec les Français, il devient urgent qu’ils apprennent à dire non. Non à la précipitation. Non à l’obésité morbide du calendrier parlementaire. Non à la mauvaise légistique. 

On peut conseiller à tout le monde d’avoir un peu plus de sagesse. 

 

Catégorie: 
Parlement