La taxe lapin : l’intendance ne suivra pas

La taxe lapin ne fait pas du tout l'unanimité et risque de s'avérer inapplicable.
La taxe lapin ne fait pas du tout l'unanimité et risque de s'avérer inapplicable.

La semaine dernière, Gabriel Attal annonçait que les rendez-vous manqués chez les médecins seraient désormais pénalisés par le paiement d’une somme de cinq euros. Surnommée « taxe lapin », cette dernière ne suscite l’enthousiasme ni des patients, ni des médecins, ni des plateformes de prise de rendez-vous. Retour sur une mesure sans queue ni tête. 

La « taxe lapin » est initialement sortie du chapeau des sénateurs de droite, qui avaient réussi à l’intégrer dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2024. Mais, grâce à l’article 49 alinéa 3, la mesure a été supprimée de la version définitive. Qu’à cela ne tienne, elle avait refait surface dans diverses propositions de loi. 

On l’avait un peu oublié jusqu’aux 6 avril 2024, quand le Premier ministre l’a sorti de son chapeau, laissant entendre que la mesure verrait très prochainement le jour. Sauf qu’en médecine, rien n’est magique et que les principaux concernés ne sont pas séduits. 

« C’est absurde » balaie le docteur Jérôme Barriere, oncologue. « On va demander cinq euros à la discrétion des médecins, pour compenser une consultation perdue, dont le tarif n’est pas de cinq euros. On va pénaliser les plus précaires et ajouter de l’exclusion aux soins pour ceux qui sont déjà exclus du soin. » 

Posons la question : les lapins, c’est-à-dire les rendez-vous non honorés sont-ils un vrai sujet ? Christian Lehmann, généraliste ne le nie pas « Les lapins sont un vrai sujet. Ce n’est pas anecdotique et c’est un vrai souci, mais la solution n’est pas dans une taxe ». Chloé Loyez, également généraliste dans ce qui s’apparente à un désert médical n’est pas concernée « Je n’ai que d’extrêmement rares lapins, ayant un secrétariat physique, des patients éduqués, et un profil de patientèle qui fait que, si un patient ne vient pas sans prévenir, c’est plus probablement parce qu’il est par terre chez lui, qu’il commence à avoir des troubles cognitifs ou qu’il est dans des difficultés telles que ça ne changera rien ». 

Pour Jérôme Barriere, le problème est ailleurs « On a de plus en plus de difficultés — y compris nous, les soignants — à joindre nos confrères ou les hôpitaux. Les gens essaient de prendre des rendez-vous qui sont très éloignés dans le temps, mais, à ce moment-là, ils n’en ont plus besoin. Soit, ils oublient d’annuler, soit, ils font la balance du temps passé à essayer de joindre le praticien. Les pénaliser financièrement ne changera pas l’absence de secrétariat. Deux tiers des professionnels ne sont pas sur les plateformes de type Doctolib ».

Plus qu’une mesure attendue, l’impression générale est qu’il s’agit d’un cache-misère « Depuis 2004, on assiste à un simulacre de négociation dans lequel le patron de l’assurance-maladie, nommé par le pouvoir politique, déroule simplement le plan de route du Gouvernement. L’État tente ainsi de se défausser d’années d’erreurs ayant abouti à l’actuelle désertification médicale, en forçant les soignants à accepter la responsabilité d’un bassin entier de population au-delà de leur propre patientèle, ce qui est irréalisable. Les négociations achoppent et de nombreux confrères sont tentés par le déconventionnement*, pas par simple intérêt financier, mais parce qu’ils ne supportent plus ce contrat léonin imposé par l’Élysée » explique Christian Lehmann. « Les lapins sont un vrai souci, mais la taxe n’est en aucun cas une solution ».

Jérôme Barriere pointe un glissement vers les acteurs privés « On met en avant ce “truc” pour faire plaisir aux médecins, mais est-ce que c’est simple de prendre un rendez-vous et de l’annuler ? On veut les pousser à passer par des plateformes privées. Si on doit vraiment mettre cela en place, cela doit être géré par la Sécurité sociale ». 

C’était la position des députés Renaissance dans leur proposition de loi sur ce sujet. Mais, tous n’en font pas un totem, notamment Daniel Labaronne « personnellement, j’y suis favorable [à la taxe lapin] face aux trop nombreux abus. Mon médecin me dit qu’en moyenne, il a un rendez-vous par jour non honoré. Il faut stopper cette incivilité en responsabilisant la patientèle. D’autant que ce sont des créneaux perdus pour des personnes qui aimeraient bien avoir ce rendez-vous perdu. Les modalités pratiques sont à examiner. Je ne suis hostile à aucune hypothèse. Ce qui compte, c’est le principe même, l’intendance suivra ».
Incivilité, le mot est lâché. Comment les médecins gèrent-ils cela ? « Il est beaucoup plus efficace de dire à un patient qu’on refuse de le suivre médicalement parce qu’il ne vient pas aux rendez-vous sans prévenir que de lui prendre cinq euros » souligne Jérôme Barriere. Même explication chez Christian Lehmann « j’avais un secrétariat physique. Quand un patient ne venait pas sans prévenir, on mettait une petite note dans l’agenda. Quand il reprenait rendez-vous, on lui faisait la leçon gentiment. Dans la majorité des cas, le problème ne se posait plus. S’il récidivait, on ne le prenait tout simplement plus. C’est plus une question de vivre-ensemble qu’une histoire d’argent ». 

Est-ce que l’intendance suivra, comme le dit Daniel Labaronne ? Rien n’est moins sûr, car le Diable se cache dans les détails techniques. En premier lieu, rien n’indique la façon dont sera fiscalisée cette pénalité de cinq euros. Et si elle est effectivement de cinq euros pour le patient, elle ne le sera pas pour le médecin. En effet, pour instaurer une pénalité, il faut un système de réservation avec une prise d’empreinte bancaire, comme dans les hôtels. Cette prise d’empreinte n’est pas gratuite pour le commerçant. Selon les enseignes, elle peut être offerte ou non. Certaines offrent ce service, en se rémunérant sur la transaction finale, soit par une somme fixe par transaction, soit par pourcentage. L’autre élément qui n’est pas toujours connu est la vérification du compte. Ainsi, dans les hôtels, il est courant que la prise d’empreinte s’accompagne d’une vérification du solde, afin de s’assurer que la somme nécessaire soit disponible. 

À charge pour les médecins, soit de passer par une plateforme telle que Doctolib, soit de s’équiper et de créer l’environnement technique, fiscal, humain adéquat, tout en prenant en compte les règles inhérentes à leur profession ainsi que le RGPD. Dans les deux hypothèses, cela traduira par une augmentation des charges pour les médecins. Même si les plateformes acceptent de jouer le jeu, elles devront faire face à une augmentation conséquente de leurs ressources pour gérer cela. 

Doctolib a déjà annoncé qu’il ne prendrait pas en charge cette taxe lapin et les trois médecins interrogés ont indiqué qu’ils ne l’appliqueraient pas. 

Il n’y a pas que l’intendance qui ne suivra pas : les parlementaires n’y sont pas tous favorables. En effet, tous les députés Renaissance ne sont pas cosignataires de la proposition de loi instaurant une taxe lapin, de même que tous les députés de droite ne sont pas enthousiastes. Christelle d’Intorni le dit « je n’y suis pas favorable et je pense que cela ne résoudra en rien la problématique ». 

Quant à la gauche, Arthur Delaporte semble résumer la situation « non seulement la taxe lapin est une absurdité totale, car cela représente moins de 2 % des rendez-vous, mais en plus, je me questionne sur la constitutionnalité. Si c’est une taxe, il y a rupture d’égalité devant l’impôt. Quid de l’accès aux soins ? Et de la privatisation de la collecte de l’impôt ? On marche sur la tête. On fait d’un problème marginal un effet de communication pour masquer la pénurie et l’incurie du Gouvernement ».  

Il note également qu’une taxe, par définition, vient alimenter les caisses de l’État. Or, dans l’hypothèse soulevée par le Premier ministre, elle devrait rémunérer les médecins qui subissent un lapin. Quant à la Sécurité sociale, si la consultation n’a pas eu lieu, elle ne subit aucun préjudice financier, bien au contraire. 

Car, cette idée soulève un autre problème : tout le monde ne possède pas de carte bancaire et tous les médecins n’ont pas de terminal de paiement. Et s’il y a prise d’empreinte, quid des patients dont le solde serait négatif ? Ou tous les autres, à savoir les patients sous tutelle ou curatelle, les mineurs voulant accéder aux consultations anonymes, les personnes sous l’emprise d’un conjoint violent, les personnes qui font l’objet d’un interdit bancaire ? 

« Je ne suis pas restaurateur ou hôtelier, déontologiquement, c’est problématique de faire payer un acte médical qui n’a pas eu lieu. C’est la différence en clientèle et patientèle » pointe Jérôme Barriere.   

Pour le moment, il n’y a rien dans les dépôts de textes et si la mesure voit le jour, il est possible d’imaginer qu’elle se glisserait subrepticement dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2025, texte dont on sait déjà qu’il ne sera pas examiné en totalité par les députés pour cause d’article 49 alinéa 3. Au risque de faire exploser une marmite qui est déjà pleine, aussi bien côté médecins que côté députés.   


*Le déconventionnement est le fait pour un médecin de ne plus se faire payer par l’assurance-maladie. Il est libre de pratiquer les honoraires qu’il souhaite. Les patients ne sont pas quasiment pas pris en charge par la Sécurité sociale.