Lutte contre la corruption des élus : le cas de la HATVP

Synthèse du rapport


Mise à jour du 30 janvier 2019  

Après la publication du premier rapport du Projet Arcadie sur l’efficacité du contrôle de la Haute Autorité pour la Transparence dans la Vie Publique (HATVP), 112 nouvelles déclarations d’intérêts ont été mises en ligne.

Pour rappel : au 16 janvier 2019, 61 députés avaient strictement respecté leurs obligations déclaratives. Au 29 janvier 2019, ils sont 110 sur 575

Répartition par groupe

Groupes parlementaires

Nombre de députés ayant respecté strictement leurs obligations déclaratives

Nombre de députés en total dans le groupe

Proportion député/groupe

Gauche Démocrate et Républicaine

1

16

6%

La France insoumise

2

17

12%

La République en Marche

75

307

24%

Les Républicains

9

104

9%

Mouvement démocrate et apparentés

10

46

22%

Non-inscrit

2

14

14%

Socialistes et apparentés

6

29

21%

UDI, AGIR et indépendants

4

28

14%

Libertés et territoires

1

16

6%

Total général

110

577

19%

 

 

À ce jour, deux déclarations sont encore manquantes : celle de Stéphane Travert et de Pascal Brindeau.

La plus forte progression concerne le groupe LREM, qui passe de 41 députés à 75 et garde ainsi la tête de classement, suivi du groupe MoDem et des Républicains. Les non-inscrits, les GDR et Libertés et Territoires restent en bas de classement.

Les modifications de déclaration ont principalement porté sur les assistants parlementaires (58 mentions), le contrôle d’une activité de conseil (9 mentions) et les fonctions politiques (8 mentions). Certains députés ont profité de l’occasion pour mettre à jour les rémunérations perçues durant l’exercice de leur mandat, que ce soit des indemnités ou des revenus professionnels.

Une mise en ligne qui pose question

Le second enseignement concerne la mise en ligne des déclarations d'intérêt des députés. Alors que les déclarations d’intérêts ne sont pas examinées préalablement à leur publication, elles ne sont pas mises en ligne immédiatement par la HATVP. Si l’écart constaté est de 8 jours en moyenne, certaines déclarations ont été mises en ligne moins d’une heure après leur dépôt. Sous la précédente législature, des variations très importantes avaient été relevées entre le dépôt et la mise en ligne, ce qui peut porter préjudice aux parlementaires. Le délai de mise en ligne le plus important avait concerné Dominique Bussereau, avec 615 jours entre le dépôt et la mise en ligne.  Une prochaine étude s’intéressera précisément ces variations. 


Les députés doivent remettre, dès leur entrée en fonction, trois déclarations à la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique :

  • Une déclaration d’intérêts qui sera publique et consultable sur le site de l’autorité, le temps de leur mandat ;
  • Une déclaration de patrimoine, qui ne sera consultable qu’en préfecture ;
  • Une déclaration de patrimoine en fin de mandat qui n’est pas publique.

Entre le 29 décembre 2017 et le 12 janvier 2018, une première analyse du contenu a été effectuée :

  • 675 déclarations d’intérêts avaient été adressées à la HATVP ;
  • 471 étaient des déclarations initiales ;
  • 96 députés avaient déjà adressé deux déclarations ;
  • 4 députés en avaient envoyé 3.

Cette analyse a permis de relever les éléments suivants :

  • 94 députés avaient strictement respecté leurs obligations respectives ;
  • 361 députés avaient omis d’indiquer leur équipe parlementaire ou un changement d’assistants ;
  • 96 ne mentionnait pas leurs responsabilités politiques ;
  • 129 ne spécifiait pas leur appartenance à un conseil exécutif local ;
  • 65 n’indiquait pas leur précédent mandat de député ;
  • 58 avaient oublié leurs professions, leurs rémunérations ou leurs sociétés.  

Entre le 3 et le 9 janvier 2019, une nouvelle analyse a été faite :

  • 987 déclarations de députés avaient été adressées à la HATVP ;
  • 299 étaient toujours des déclarations initiales ;
  • 275 étaient des déclarations indiquant des modifications.

Le bilan a été le suivant :

  • 61 députés avaient strictement respecté leurs obligations déclaratives (-31 %) ;
  • 433 députés n’avaient pas déclaré un changement de collaborateur (+20 %) ;
  • 125 un mandat exécutif local (-3 %) ;
  • 101 leurs responsabilités dans un parti politique (+5 %).

Les trois éléments les plus fréquemment mis à jour dans les déclarations:

  • Les assistants parlementaires pour 318 déclarations ;
  • Le contrôle d’une société de conseil pour 91 déclarations ;
  • La situation (employeur ou profession) du conjoint pour 68 déclarations.

En 2018, le groupe LREM comptait la plus grande proportion de députés respectant leurs obligations déclaratives (69, soit 22 % du groupe). En 2019, c’est le groupe MoDem et apparentés qui détient la plus forte proportion (9, soit 20 %).

En 2018, le groupe Nouvelle Gauche (actuellement Socialistes et apparentés) était en bas de classement avec un seul député respectant ses obligations déclaratives (3 %). En 2019, aucun député non-inscrit ni appartenant au groupe gauche démocrate et républicaine ne respectait strictement ses obligations déclaratives.

À ce jour, la HATVP ne paraît pas avoir pris de mesures spécifiques concernant les lacunes ou les omissions dans les déclarations d’intérêts des députés.

Le mot de Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

Le sondage vise à mesurer la perception qu’ont les Français de la lutte contre la corruption des élus. Un sujet éminemment sensible et la situation semble, aux yeux des Français comme étant très largement répandue. Ce n’est pas un sujet annexe. Dans d’autres enquêtes, 2/3 des Français pensent que les élus seraient corrompus et que la corruption serait très répandue plus largement.

Sans doute que cette perception a été renforcée dans le sillage du mouvement des gilets jaunes qui débouche sur l’organisation d’un grand débat. Dans le cadre des cahiers de doléance mis à la disposition des citoyens, la question des indemnités des élus revient souvent. Même s’il n’y a pas de liens avec la corruption, on voit que ces thématiques connexes sont vraiment d’actualité.

Face à ce cadre, les chiffres qui tombent dans cette enquête d’opinion ne sont pas surprenants, mais sont tout de même spectaculaires. 77 % des Français disent que la France ne se donne pas réellement les moyens pour lutter efficacement contre la corruption des élus. Ce qui montre bien le climat d’extrême défiance qui règne aujourd’hui en France.

Ce chiffre est même renforcé par le fait que 40 % des sondés disent que l’on ne se donne « certainement pas » tous les moyens pour lutter contre la corruption.

Ce problème de la perception ne date pas d’hier évidemment. La rémunération, les passe-droits des élus sont depuis souvent pointés du doigt par les citoyens, c’est aussi vieux que la République en fait, mais cela prend une dimension nouvelle dans une société française qui est à cran sur la question du pouvoir d’achat, qui se relève péniblement d’une longue crise économique et financière et qui, du coup, est peut-être encore plus sensible qu’avant à tout ce qui s’apparente à des formes de privilèges.

Dans tout ce contexte-là est arrivé au pouvoir un homme et dans son sillage, une majorité : Emmanuel Macron. Le président de la République a, entre autres, été élu sur un discours de refondation de la vie démocratique et l’idée d’un « nouveau monde ». Or, le sondage montre que son élection, aux yeux des Français, n’a pas permis de faire reculer la perception de la corruption. Il n’y a pas eu le sentiment qu’avec l’avènement d’un « nouveau monde », les pratiques avaient changé (alors même que des choses ont été faites comme la loi pour la confiance en la vie politique de début de quinquennat). Aux yeux du grand public, pas grand-chose n’a été fait, ils sont seulement 19 % à penser qu’il y a eu un renforcement de la lutte contre la corruption des élus depuis l’élection de 2017.

C’est bien là un nouvel exemple que le danger qui guette Emmanuel Macron c’est un risque de banalisation. Le danger, c’est bien que les Français pensent, en somme, « tout ça pour ça » et estiment que le renouvellement de la classe politique n’a pas entraîné un renouvellement des logiciels de pensée.

Enfin, lorsque les Français sont interrogés sur le parti le plus apte à gérer la lutte contre la corruption des élus, c’est bien LREM qui arrive en tête avec 11 % des voix à égalité avec le Rassemblement national, qui surfe déjà depuis longtemps sur la dénonciation de la corruption des élus. À défaut de pouvoir lutter contre, vu qu’ils n’ont jamais été aux responsabilités, ils la dénoncent. Au-delà de cette égalité, le chiffre marquant reste celui des 50 % des sondés qui déclarent ne faire confiance à aucun parti en la matière. Vient ensuite La France insoumise avec 8 % des voix, puis les LR à 5 % et le PS à 4 % et 2 % pour le MoDem. On peut alors noter une très forte perte de crédibilité des partis de gouvernement « classiques » et que la hiérarchie est dominée soit par le « nouveau parti », soit par les partis « hors-système ».

Et même, plus dans le détail, lorsque l’on affine les chiffres en scrutant les résultats en fonction des affinités politiques des sondés, les résultats montrent que les Français ne font que très relativement confiance à leurs partis pour gérer la lutte contre la corruption.

63 % des gens proches de LREM font confiance à LREM, 69 % pour les proches de LFI, 63 % pour les proches du RN et seulement 47 % pour les Républicains, 41 % pour les proches du MoDem et seulement 37 % pour les gens s’identifiant comme étant proches du PS.

 

Introduction

D’après le baromètre de janvier 2019 du CEVIPOF, la dernière décennie est considérée comme noire pour la confiance des Français envers la politique. Dans son dernier baromètre, publié le 11 janvier 2019, l’organisme souligne la baisse de confiance envers la quasi-totalité des institutions politiques, à l’exception du conseil municipal, seul organe politique enregistrant une hausse. Seuls 31 % des sondés ont confiance dans leurs députés et 9 % dans les partis politiques. Dans les qualités attendues d’un responsable politique, l’honnêteté est ce qui est plébiscité à 62 % pour inspirer la confiance.

La notion de probité est donc celle qui permet aux citoyens de faire confiance à leurs élus. Dans ce cadre, une enquête IFOP pour le Projet Arcadie a été réalisée, sur la perception de la corruption des élus.

Pour 77 % des sondés, la France ne se donne pas les moyens de lutter contre la corruption des élus. Ils sont 67 % à estimer que l’élection d’Emmanuel Macron n’a rien changé en la matière et ils sont 50 % à n’accorder aucune confiance dans les partis politiques pour lutter contre la corruption. Les anciens partis de gouvernement sont complètement discrédités auprès des Français (le Parti socialiste et Les Républicains ne recueillant que respectivement 5 % et 4 % des voix sur la troisième question de notre sondage) et, si l’on regarde encore plus en détail, même ceux qui s’estiment pourtant proches de ces partis ne leur font en majorité pas confiance pour lutter contre la corruption. 63 % des sondés, proches du parti La République en Marche (LREM), font confiance à leur propre parti et on retrouve le même chiffre pour le Rassemblement National. Ce chiffre est également important au sein de La France insoumise avec 69 % des sondés proches de ce mouvement, qui lui font confiance. Mais, les résultats sont plus mauvais pour Europe Écologie Les Verts, qui ne recueille que 39 % de confiance sur la question de la lutte contre la corruption auprès de ses sympathisants, 37 % pour le Parti socialiste pour ses militants, 41 % pour le MoDem, 42 % chez les Républicains et 47 % pour Debout La France.

Sur l’ensemble des résultats portant sur la troisième question, LREM fait jeu égal avec le Rassemblement National, à savoir 11 %.

Mais face à cette défiance peut-on vraiment donner tort aux Français ? Ont-ils raison de penser que les moyens donnés pour lutter contre la corruption des élus sont insuffisants ? N’ont-ils pas tort de croire que malgré les promesses d’un nouveau monde avec l’avènement d’Emmanuel Macron et le vote d’une loi de confiance pour la vie politique, n’ont pas porté leurs fruits ? Le nouveau monde utilise-t-il le même logiciel que l’ancien ? C’est à toutes ces questions que nous allons essayer de répondre. Nous nous intéresserons dans ce rapport aux députés et à la HATVP.

Que recouvre le terme de corruption ? Combien coûte-t-elle à la société ? Quels sont les dispositifs actuellement déployés et sont-ils efficients ?

Rappel du cadre existant

Avant d’entrer dans le vif du sujet, il convient de s’arrêter un instant sur le cadre législatif.

Les différentes formes de corruption

La corruption se définit comme le fait de soudoyer quelqu’un pour qu’il agisse contre son devoir. Sur le plan pénal, il s’agit d’un comportement par lequel sont sollicités, agréés ou reçues des offres, promesses, dons ou présents, à des fins d’accomplissement ou d’abstention d’un acte, d’obtention de faveurs ou d’avantages particuliers. Elle est dite passive lorsqu’elle est le fait du corrompu et active lorsqu’elle est le fait du corrupteur.

Dans le contexte politique, cela se matérialise par le fait pour une personne d’accepter, à raison de sa fonction ou de situation dans l’État, de rendre à d’autres personnes ou organismes des services auxquels ces derniers ne peuvent légalement prétendre, moyennant un paiement. Ce paiement peut être réalisé en argent ou en nature, par des éléments matériels — voyages, cadeaux, propriétés, faveurs sexuelles — ou immatériels – votes, recommandations.

On distingue trois gradations dans la corruption. Elle est dite blanche[1] lorsqu’elle s’apparente à une aide purement informelle, ne donnant pas nécessairement lieu à une contrepartie immédiate. L’exemple le plus concret et le plus courant est l’aide qu’un élu apporte à un administré pour l’obtention d’une place en crèche, d’un logement HLM, pour supprimer une contravention ou encore, obtenir une recommandation pour un emploi. Le paiement est immatériel et se fait surtout par allusion, rendant la chose difficile à sanctionner sur le plan juridique et impossible à chiffrer. Ces différents passe-droits sont les plus répandus.

La corruption blanche sert souvent d’introduction à la corruption dite grise. Elle correspond à des faits, qui sont pénalement répréhensibles, mais qui ne sont pas systématiquement portés à la connaissance de la justice, notamment en raison d’un manque de contrôle effectif. Cela peut être le financement occulte des partis, sans enrichissement personnel, le favoritisme, le népotisme, les conflits d’intérêts dans la prise de décision ou la rédaction d’amendement, les déclarations lacunaires, voire mensongères, auprès des instances de contrôle, etc.

La corruption noire est certainement la plus connue du grand public, car elle s’étale dans les journaux, au fil des différents quinquennats et fait l’objet d’une littérature très abondante, mais on peut rappeler le cas de la député Andrieux, qui avait mis en place un système de subventions à des associations fictives, en échange de sa réélection.

La distinction entre les trois types de corruption réside dans sa condamnation médiatique : blanche, elle est largement acceptée et tolérée grise, elle n’est soutenue que par une partie de la population et noire, elle est condamnée par tous, à commencer par la justice. Elle ne peut s’épanouir que si elle a un terreau fertile et hétérogène.

Le coût de la corruption

La corruption blanche se matérialisant par des avantages immatériels, il paraît difficile de chiffrer son coût sur la société. Dans le cas de la corruption grise, on peut procéder à des estimations lorsqu’il s’agit de flux financiers ou de travail dissimulé. C’est surtout sur la corruption noire qu’un chiffrage peut être réalisé.

Pour l’ONU, la corruption est « crime grave qui sape le développement économique et social dans toutes les sociétés ». D’après le Fonds Monétaire International (FMI), en 2017, les seuls « pots-de-vin » représentent 2 % du Produit Intérieur Brut (PIB) mondial et les détournements de fonds publics, 5 %.

À l’échelle de l’Union européenne, il a été estimé « qu’il existe dans les secteurs publics de l’Union au moins 20 millions de faits de petite corruption ». La commission spéciale sur la criminalité organisée, la corruption et le blanchiment de capitaux évalue le coût de la corruption à près de 120 milliards d’Euros par an, soit 1 % du PIB de l’Union européenne.

Dans ce même rapport, le Parlement européen préconise la déchéance des fonctions politiques, suite à une condamnation définitive pour les infractions relevant de la corruption.

Une autre étude, plus récente donne des chiffres plus importants que ceux de la commission. Pour le think tank RAND Europe, il existe deux scénarios. L’hypothèse optimiste table sur un coût situé entre 179 et 256 milliards d’Euros par an. Dans une configuration plus pessimiste, elle évalue le coût à 990 milliards d’Euros par an, soit 6,3 du PIB de l’Union européenne.

Ces écarts de chiffre entre ceux de la commission et du think tank s’expliquent par la prise en compte des effets indirects. En effet, la commission n’avait analysé que les effets économiques directs de la corruption, en omettant les effets sociaux et sociétaux, notamment le développement du grand banditisme.

Chaque année, l’ONG Transparency International publie un classement des pays selon leur degré de corruption. Plus la note obtenue est élevée, moins l’État est corrompu. Pour l’année 2017, la France était au 23e rang mondial, avec un indice de 70.

Les acteurs sont donc unanimes pour dire que la corruption est un mal endémique, protéiforme, qui a un coût économique considérable sur les États, mais également un impact sur le développement social et démocratique.

E, France, il existe bien des mécanismes de contrôle spécifiquement dédiés aux élus.

Les autorités de contrôle de la corruption des élus en France

Nous pouvons retenir quatre entités de contrôle de la corruption des élus en France :

  • La HATVP ;
  • Le Parquet National Financier (PNF) ;
  • La CNCCFP ;
  • La déontologue de l’Assemblée nationale ou le comité déontologique du Sénat.
Répartition des compétences
 

HATVP

CNCCFP

PNF

Déontologue/Comité déontologique

Frais de mandat

X

 

X

X

Situation patrimoniale

X

X

X

 

Intérêts

X

 

X

X

Conflits d’intérêts

X

 

X

X

Financement d’une élection

 

X

X

 

Voyages et dons en nature

X

 

X

X

Emplois familiaux croisés

 

 

 

X

Activité annexe des collaborateurs parlementaires

X

 

 

X

 

Dans le cadre de cette étude, nous allons nous focaliser que la HATVP et son contrôle sur les députés.

La HATVP s’intéresse aux conflits d’intérêts ainsi qu’au patrimoine des élus. En charge de surveiller et de contrôler tous les parlementaires du territoire national, ainsi qu’un nombre non négligeable des exécutifs locaux, elle collecte les déclarations d’intérêts et de patrimoine, ainsi que les déclarations de fin de mandat de ces derniers. Elle peut transmettre au PNF les dossiers qui lui paraissent douteux. À ce jour, elle répertorie les fiches nominatives de 3918 responsables publics pour 6541 déclarations. Elle est composée de 45 agents. Pour l’année 2017, elle a transmis 19 dossiers à la justice. En décembre 2018, elle a indiqué avoir transmis le cas de 15 parlementaires au Parquet National Financier.

Le PNF a été créé par la loi du 6 décembre 2013. Il est à compétence nationale — peut donc connaître de tous les cas qui le concerne, peu importe sa localisation sur le territoire français — spécialisé dans les enquêtes pénales complexes concernant la délinquance financière et économique. Il est composé de 18 magistrats et de 18 agents spécialisés (assistants, juriste, greffiers, responsable de communication et adjoints techniques). En 2017, elle a condamné 57 personnes et poursuit l’examen de 472 procédures, dont 48 % concernent les atteintes à la probité. On observe que 35 % des affaires qu’elle a traitées en 2017 ont eu pour origine un signalement d’une autorité publique

L’actuelle déontologue de l’Assemblée nationale a pour fonction de contrôler les frais de mandat des députés, d’examiner les déclarations de voyages et de dons et de conseiller ces derniers dans les cas relevant de la déontologie (emplois familiaux, activité professionnelle, etc.). À ce jour, il n’y a pas de rapport d’activité. Salariée à mi-temps et en charge du contrôle des frais de mandats des députés, elle n’a pas les moyens de sa mission, ce qui remet en cause l’utilité de son poste.

Au Sénat, c’est un comité composé de sénateurs en exercice qui fait office de dispositif de prévention et de traitement des conflits d’intérêts. Contrairement à son homologue de l’Assemblée nationale, un rapport de ses activités est disponible. Ces deux dernières entités ont également la charge de contrôler les emplois familiaux croisés.

Sur la base de la législation actuelle et des affaires en cours d’examen, on constate qu’il y a peu de champs qui ne soient pas contrôlés par au moins deux entités, attendu que ces différents organismes peuvent communiquer entre elles et travailler de concert.

On peut donc considérer que le jugement des Français sur les moyens de lutter contre la corruption des élus, relevé par l’IFOP est très sévère. Mais, comme nous allons le voir, on ne peut pas leur donner tort si on examine les déclarations d’intérêts des députés, surtout quand on dresse le bilan de l’autorité chargée — en théorie — de les contrôler.

 

Consensus politique : les déclarations transpartisanes des élus sur la transparence

Revenons à la lettre de la loi sur la transparence dans la vie publique et relisons certaines déclarations de députés, au moment de son examen, à l’Assemblée nationale.

François de Rugy énonçait que « la transparence fait œuvre de prévention et de dissuasion dans les conflits d’intérêts et les comportements visant à des enrichissements indus pendant un mandat ». Damien Abad ajoutait que « la transparence n’est pas pour moi une punition : c’est une dissuasion. On utilise la transparence pour dissuader les élus de tricher. La transparence n’est pas une fin en soi, c’est un moyen de restaurer le lien de confiance entre le peuple et les élus ».

Est-ce parce que la transparence sur le patrimoine et les intérêts des élus n’est pas totale que les Français sondés par l’IFOP n’ont aucune confiance ? Comme nous allons le constater, c’est moins une question de transparence qu’une question de contrôle. Là encore, revenons à l’esprit même du législateur, avec cette déclaration de Jean-Jacques Urvoas : « la logique du texte, c’est le contrôle ». Cette volonté s’est traduite dans l’article 20 de la loi créant la HATVP : « elle reçoit des membres du Gouvernement, en application de l’article 4 de la présente loi, des députés et des sénateurs, en application de l’article LO 135-1 du code électoral, et des personnes mentionnées à l’article 11 de la présente loi leurs déclarations de situation patrimoniale et leurs déclarations d’intérêts, en assure la vérification, le contrôle et, le cas échéant, la publicité, dans les conditions prévues à la section 2 du présent chapitre ».

Ce sont donc bien à la fois les déclarations de patrimoine et les déclarations d’intérêts qui doivent être examinées par cette autorité. Ajoutons à cela un autre facteur : non seulement les déclarations de patrimoine des députés ne sont pas consultables sur le Web, mais la consultation en préfecture est strictement encadrée. Il n’est pas possible de prendre des notes, les sacs, les lunettes et manteaux sont strictement vérifiés pour qu’aucune fuite ne soit effectuée. Il faut donc à la personne qui consulte une excellente mémoire pour se souvenir de tout ce qu’elle a pu lire et éventuellement vérifier certains éléments.

En un sens, seule la déclaration d’intérêts des députés peut être considérée comme un indicateur de probité du parlementaire.

Les déclarations des députés

Les déclarations des députés doivent respecter certaines règles.

Le nombre de déclarations minimales à remettre

Les députés doivent transmettre trois déclarations à la HATVP :

  • Une déclaration d’intérêts qui sera publique et consultable sur le site de l’autorité ;
  • Une déclaration de patrimoine, qui ne sera consultable qu’en préfecture ;
  • Une déclaration de patrimoine en fin de mandat qui n’est pas publique.

La France n’est pas le seul État de l’Union européenne à pratique la publication des intérêts des députés. On notera que certains vont même plus loin, car les déclarations de patrimoine sont publiques et consultables sur le Web. C’est le cas de l’Espagne, mais également de l’Italie, qui intègre l’équivalent de la déclaration de revenus ainsi que la Roumanie, avec un niveau de détails équivalent à celui de ce qui est demandé dans les déclarations de patrimoine en France. Au Danemark, les intérêts financiers ainsi que les voyages à l’étranger sont indiqués pour les parlementaires.

Mais si les États ayant choisi de jouer de la transparence l’appliquent à la totalité de la classe politique, la France a fait un choix original. En effet, les déclarations de patrimoine des ministres sont publiques et accessibles en ligne alors que celles des parlementaires ne le sont pas. Cela relève d’une certaine hypocrisie quand les parlementaires deviennent ministres, ce qui permet à tout un chacun de consulter le patrimoine de la personne qui vient d’acquérir un portefeuille ministériel. Nous sommes bien loin de l’esprit des législateurs de 2013, lors des débats sur la loi pour la transparence dans la vie publique.

Contenu d’une déclaration d’intérêt d’un député

Que doit contenir la déclaration d’intérêts d’un député ? Organisée en huit sections, elle permet au député de faire état des éléments suivants :

  • Son activité professionnelle et les revenus inhérents sur les cinq dernières années ;
  • Ses activités éventuelles de consultant sur les cinq dernières années ;
  • Sa participation financière dans des organisations privées ou publiques sur les cinq dernières années ;
  • Sa participation — même bénévole — à des entités publiques ou privées ;
  • La profession actuelle de son conjoint ;
  • Ses mandats électifs en cours ;
  • Ses collaborateurs parlementaires, actuellement en poste.

La HATVP a mis à disposition un guide du déclarant, afin de permettre aux députés de mieux appréhender leurs obligations déclaratives. Ainsi, pour la première section, doivent être indiquées toutes les rémunérations perçues. Bien que cela ne soit pas explicitement mentionné, cela inclut les allocations chômage. Point particulier : les pensions de retraite. Selon la député Brulebois, dans sa déclaration modificative du 7 janvier 2018, cette indication n’a pas à figurer dans sa déclaration d’intérêts. Dans son guide du déclarant, la HATVP mentionne les pensions de retraite pour la déclaration de patrimoine, mais pas pour la déclaration d’intérêts. Notons que certains députés ont fait figurer leurs pensions de retraite dans leurs déclarations d’intérêts. De la même manière, les jeunes députés, qui n’ont pas eu d’activité professionnelle en 2012 et 2013, ont indiqué explicitement qu’ils étaient encore étudiants à cette époque.

La participation financière fait référence à d'éventuels portefeuilles d’action, mais concerne également les sociétés, au sens large. Ainsi, le député qui aurait une société civile immobilière (SCI), une société civile de moyens ou un commerce doit le faire figurer dans sa déclaration d’intérêts.

La participation, même bénévole, à des entités publiques ou privées doit être mentionnée. Cela inclut les associations, mais également les partis politiques. Si on a une lecture littérale de du guide, un député, qui aurait des fonctions autres que celles de simple membre d’un parti politique, doit le faire figurer. Cela vaut également s’il dirige ce qui est communément appelé un microparti.

Le conjoint d’un député fait aussi l’objet d’une attention particulière. Par le terme de conjoint, on entend toute personne qui partage durablement la vie du député. Cette dénomination n’est pas exclusivement conditionnée à l’existence d’un document d’état civil.

Les mandats électifs en cours, lors de l’élection, doivent être indiqués, même s’ils ne donnent lieu à aucune indemnité. Cela concerne donc également les « simples » mandats de conseillers municipaux.

Enfin, les collaborateurs parlementaires, ainsi que les activités annexes professionnelles qu’ils peuvent avoir, doivent être indiqués. La HATVP indique que toute modification affectant cette rubrique doit faire l’objet d’une nouvelle déclaration. De façon très simple : si un député change de collaborateur parlementaire, il doit adresser une nouvelle déclaration.

Le guide est très clair et explicite sur la façon dont le député doit déclarer ses intérêts et laisse peu de place à des interprétations.

En dehors du cas de la pension de retraite et de l’allocation chômage, il y a un point qui est — pour le moment — silencieux : le précédent mandat de député. En effet, même si l’Assemblée nationale s’est considérablement renouvelée sous la XVe législature, certains députés étaient déjà présents sous la XIVe et antérieurement. Cet ancien mandat doit-il se déclarer ou non ?

Certains députés — comme Delphine Batho ou Guillaume Larrivé — ont fait le choix de l’indiquer explicitement dans la section mandats ou activité professionnelle. D’autres n’ont pas eu cette diligence et on peut s’interroger sur ce sujet. En effet, les observateurs attentifs du Parlement connaissent généralement les anciens et nouveaux députés et cela peut paraître évident. Mais qu’en est-il des autres ? Peut-on garantir à 100 % que tous les Français savent que Michel Zumkeller était député sous la XIVe législature et que c’est pour cette raison que les sections devant faire état de son passif professionnel sont vierges ? On rappellera que le mandat de député n’est pas une activité professionnelle et que la section mandat ne concerne que les mandats en cours au moment de l’élection. Mais si on revient à l’esprit du législateur, au moment des débats sur la loi pour la transparence dans la vie publique et que les députés réélus, étaient déjà députés au moment où ils ont obtenu un nouveau mandat, on peut partir du postulat que l’ancien mandat doit être indiqué dans la déclaration d’intérêts.

De façon globale, dans la mesure où les déclarations d’intérêts sont les seuls documents officiels totalement publics, accessibles sans restriction et permettant d’avoir une vue d’ensemble sur le passif et l’actif d’un député, ils se doivent d’être exhaustifs.

Volumétrie des déclarations d’intérêts des députés

En décembre 2017, les députés avaient adressé 675 déclarations d’intérêts à la HATVP. Sur 572 députés[2], 5 avaient déjà adressé 3 déclarations d’intérêts (initiale et modificative) et 96, 2 déclarations.

Volumétrie des déclarations HATVP 2018

Nombre de députés

Nombre de déclarations adressées par député

1

0[3]

471

1

96

2

4

3

572

 

 

En janvier 2018, 987 déclarations ont été adressées à la HATVP.

Volumétrie des déclarations HATVP 2019

Nombre de députés

Nombre de déclarations adressées par député

3

0[4]

299

1

182

2

62

3

23

4

3

5

4

6

1

7

577

 987

 

Si on se fie à cette volumétrie, on se figure qu’il y a 299 députés pour lesquels, la situation n’a pas évolué, ni sur le plan personnel (conjoint ou profession du conjoint), ni dans leurs équipes, ni dans leurs actifs ou passifs professionnels.

Cela n’est évidemment pas le cas.

Analyse approfondie des déclarations HATVP des députés

Après leur entrée en fonction, les députés ont deux mois pour procéder à leur déclaration d’intérêts et de patrimoine. Pour la XVe législature, les députés nouvellement élus avaient donc jusqu’au 21 août 2017 pour déclarer leurs intérêts et leur patrimoine[5]. Contrairement à la XIVe législature, cette procédure de déclaration est devenue entièrement numérique et dématérialisée. Notons que si la majorité des déclarations d’intérêts ont été effectuées dans les délais impartis, 84 l’ont été après la date limite et 6 ont été manquantes.

Comme le spécifie le guide du déclarant, les députés doivent faire connaître à l’autorité tout changement de situation, à travers une nouvelle déclaration.

Une première analyse des déclarations d’intérêts des députés avait été faite entre le 29 décembre 2017 et le 12 janvier 2018. Après examen de chaque déclaration d’intérêts — initiale et modificative — il avait été relevé que 94 députés avaient strictement respecté leurs obligations déclaratives, que ce soit en ce qui concerne leur profession, leurs revenus, leurs mandats locaux ou encore leurs assistants parlementaires.

58 députés avaient omis de mentionner leur profession, leurs rémunérations ou leurs sociétés et 409 avaient oublié de déclarer un mandat local, un changement d’assistants parlementaires ou des responsabilités au sein de leur parti politique ou leur microparti.

Plus précisément, il y avait 347 députés concernés par un manquement ou une omission sur les assistants parlementaires, 96 avaient omis d’indiquer leurs responsabilités dans les partis politiques, 129 leur mandat de conseiller municipal et 65 leur précédent mandat de député. Il convient de noter que certains députés sont concernés par plusieurs omissions : ils ont oublié de signaler leurs assistants parlementaires, ainsi que leur mandat de conseiller municipal.

Sur cette première analyse, on peut classer les députés en trois catégories :

  • Ceux qui ont strictement suivi les recommandations de la HATVP et la loi, en signalant tous leurs intérêts ;
  • Ceux qui ont oublié certains éléments, que l’on peut pourrait qualifier de pardonnable (instabilité dans l’équipe parlementaire, démission en cours d’un mandat exécutif local, changement de responsabilité au sein d’un parti pour cause d’élections internes) ;
  • Ceux qui ont ouvertement manqué à leurs obligations en omettant leurs rémunérations, leurs sociétés et leurs entreprises commerciales.

Interpellés sur cette question, les députés concernés par la dernière catégorie ont fait preuve d’une certaine imagination dans leurs réponses. Ainsi, un député a indiqué qu’il pensait qu’il ne fallait indiquer que la rémunération de l’année 2016, un autre a fait valoir que les sociétés civiles immobilières n’avaient pas à être spécifiées dans les déclarations d’intérêts et encore un autre a répondu que dans la mesure où il n’avait dégagé aucun bénéfice avec son entreprise, il ne voyait pas pourquoi il aurait dû mentionner la structure en question.

Mais cette mise en lumière médiatique des manquements a également eu pour effet de pousser les députés à corriger leurs déclarations, à indiquer les rémunérations manquantes voire à indiquer explicitement certaines informations.

La répartition entre les groupes parlementaires a été la suivante, en 2018 :

Répartition par groupe 2018

Groupes parlementaires

Nombre de députés ayant respecté strictement leurs obligations déclaratives

Nombre de députés en total dans le groupe

Proportion député/groupe

Gauche Démocrate et Républicaine

2

16

13 %

La France insoumise

1

17

6 %

La République en Marche

69

312

22 %

Les Républicains

11

98

11 %

Mouvement démocrate et apparentés

5

47

11 %

Non inscrit

2

18

11 %

Nouvelle Gauche

1

30

3 %

UDI, AGIR et indépendants

3

34

9 %

Total général

94

572

16 %

 

Entre le 3 et le 9 janvier 2019, une nouvelle analyse des déclarations a été faite. 61 députés avaient strictement respecté leurs obligations déclaratives. 

 

Répartition par groupe 2019

Groupes parlementaires

Nombre de députés ayant respecté strictement leurs obligations déclaratives

Nombre de députés en total dans le groupe

Proportion député/groupe

Gauche Démocrate et Républicaine

0

16

0 %

La France insoumise

1

17

6 %

La République en Marche

41

307

13 %

Les Républicains

6

104

6 %

Mouvement démocrate et apparentés

9

46

20 %

Non inscrit

0

14

0 %

Socialistes et apparentés

2

29

7 %

UDI, AGIR et indépendants

1

28

4 %

Libertés et territoires

1

16

6 %

Total général

61

577

11 %

 

 

En termes de variation, on arrive à une régression de 31 %. En faisant la comparaison entre le nombre de députés ayant strictement respecté leurs obligations de déclarations par groupe et en prenant en compte la variation du nombre de députés par groupe, à l’exception du MoDem et des Socialistes et apparentés, tous les groupes ont régressé.

Variation 2018-2019

Groupes parlementaires

Proportion député/groupe en 2018

Proportion député/groupe en 2019

Variation

Gauche Démocrate et Républicaine

13 %

0 %

-100 %

La France insoumise

6 %

6 %

0 %

La République en Marche

22 %

13 %

-32 %

Les Républicains

11 %

6 %

-45 %

Mouvement démocrate et apparentés

11 %

20 %

82 %

Non inscrit

2 %

0 %

-100 %

Socialistes et apparentés (anciennement Nouvelle Gauche)

3 %

7 %

133 %

UDI, AGIR et indépendants

9 %

4 %

-56 %

Libertés et territoires

Néant

6 %

Non applicable

Total général

16 %

11 %

-31 %

 

Les trois manquements les plus fréquemment rencontrés restent les assistants parlementaires, les mandats exécutifs locaux — principalement celui de conseiller municipal — et les fonctions politiques.

En 2018, 361 députés étaient concernés par un manquement concernant les assistants parlementaires, 129 par les mandats de conseiller municipaux et 96 par les fonctions politiques.

En 2019, 433 députés n’avaient pas déclaré les changements d’assistants parlementaires (+20 %), 125 un mandat de conseiller municipal (-3 %) et 101, leurs fonctions politiques (+5 %).

Encore une fois, ces données sont cumulables les unes avec les autres. Un député peut tout à fait n’être concerné que par un manquement concernant ses assistants parlementaires et un autre, cumuler les assistants parlementaires, le mandat exécutif local et ses fonctions politiques.

Mais, ce qui est intéressant, c’est la quasi-absence de changement concernant les sociétés et les rémunérations. En effet, en 2018, 48 députés n’avaient pas déclaré l’intégralité de leurs revenus et 40 avaient omis des sociétés. En 2019, 38 députés (-5 %) étaient encore concernés par des sociétés qu’ils n’avaient pas indiquées dans leurs déclarations d’intérêts et 47 par des rémunérations omises[6].

Si nous allons encore plus dans le détail, on remarque que les députés concernés par les déclarations lacunaires en matière de revenus professionnels et de sociétés peuvent être classés en deux catégories :

  • Ceux qui ont déclaré partiellement certains éléments ;
  • Ceux qui ont rendu des déclarations vierges.

Les déclarations vierges ne sont pas légion, mais il est curieux de noter que les députés concernés sont ceux qui ont occupé des fonctions ministérielles sous le précédent quinquennat ou qui appartiennent à un ordre professionnel, permettant de constater qu’ils ont bien eu une activité professionnelle.

Les déclarations lacunaires sont également à différencier. Certains députés n’ont pas déclaré certaines années — alors qu’ils sont tenus d’indiquer quelles ont été leurs rémunérations sur les 5 dernières années précédant leur entrée en fonction. Généralement, on constate que cela correspond à des périodes où le député était en formation ou sans emploi. Mais, dans la mesure où il n’y a aucune indication explicative, toutes les suppositions sont possibles. Encore une fois, il convient de se placer du point de vue du citoyen ordinaire : ce dernier n’est pas nécessairement au fait de tout l’historique d’un député. Par ailleurs, certains députés ont joué la prudence en la matière, en indiquant que sur une période donnée, ils n’avaient pas d’activité professionnelle rémunérée.

Pour les sociétés, les choses sont plus simples à trancher : elles doivent toutes y être recensées et la nature même de la société n’a aucune influence. Notons que certains ont créé des structures après l’obtention de leur mandat de député et qu’ils n’ont pas procédé aux modifications nécessaires.

Une analyse plus poussée relève un élément intéressant : le contrôle d’une société de conseil. En effet, si on compare les déclarations modificatives, la mention « contrôle d’une activité de conseil » est celle qui revient le plus souvent dans les changements. 91 déclarations spécifiant si le député détenait le contrôle d’une activité de conseil sont parvenues à la HATVP depuis le début de la XVe législature. Le premier facteur de mise à jour des déclarations HATVP reste le changement de collaborateurs, avec 318 déclarations et le conjoint (profession ou employeur), avec 68 déclarations.

Perspectives

Si on reprend les résultats d’analyse, on ne peut que s’étonner du faible nombre de députés qui respectent leurs obligations déclaratives auprès de la HATVP.

Le premier élément frappant est que les députés ayant strictement respecté leurs obligations déclaratives sont majoritairement des députés sans responsabilité particulière. Aucun président de groupe ni de commission permanente n’est à jour concernant sa déclaration HATVP et seulement deux membres du bureau de l’Assemblée nationale sont dans cette liste.

Dans un tract électoral du 29 mai 2017, La République En Marche mettait en avant, en premier item, la moralisation de la vie politique et le slogan « exemplarité, diversité et proximité pour renouveler en profondeur notre démocratie » pour inciter les citoyens à voter pour des candidats LREM aux élections législatives. Si effectivement, la première loi de la XVe législature a bien été celle concernant la confiance dans la vie publique avec la fin supposée des emplois familiaux, il n’en reste pas moins vrai que certains parlementaires facétieux continuent à salarier ou à faire salarier des membres de leurs familles.

Plus récemment, un porte-parole du parti avait été démis de ses fonctions pour des tweets injurieux et le délégué général de l’époque — Christophe Castaner — avait invoqué « l’exigence d’exemplarité » pour justifier ce renvoi.

Cette exigence d’exemplarité ne semble prévaloir que pour certains cas spécifiques, mais pas en ce qui concerne les obligations déclaratives des députés. Avec seulement 13 % des députés du groupe LREM, il ne paraît pas possible d’être crédible sur ce type de questions.

L’affaire Benalla a permis à certains ténors des Républicains de sortir du bois, au nom de l’exemplarité. Pourtant, avec seulement 6 députés sur 104 qui sont à jour sur leurs déclarations HATVP, on ne peut pas vraiment dire qu’ils appliquent ce qu’ils prêchent. Au-delà des affaires qui ont marqué l’actualité de la droite ces dix dernières années, cela peut aussi expliquer, en partie, pourquoi 5 % sur l’ensemble des sondés et 42 % de leurs militants leur font confiance sur la thématique de la corruption. La révolution de la probité n’est pas en marche chez les Républicains.

Mais, c’est surtout pour le MoDem que le constat est le plus cruel. Tout d’abord, alors que la probité en politique a toujours été l’un de leurs slogans, le sondage réalisé par l’IFOP dénote clairement que seuls 2 % des sondés leur font confiance pour lutter contre la corruption et seulement 41 % chez leurs propres électeurs. Même si le groupe plafonne à seulement 20 % de députés ayant strictement respecté leurs obligations déclaratives, c’est aussi le seul groupe qui a progressé en la matière. C’est également le groupe qui est en tête de classement.

Selon un sondage Odoxa-Dentsu Consulting pour franceinfo publié le 21 décembre 2018, le Parti socialiste plafonne à 7 % d’intention de vote aux élections européennes de 2019. Heureux hasard : c’est également le pourcentage de députés dans leur groupe, qui respectent leurs obligations déclaratives. Olivier Faure, s’exprimant sur les perquisitions intervenues chez Jean-Luc Mélenchon, déclarait pourtant que « les hommes politiques ont un devoir d’exemplarité».

Encore moins bons élèves que le Parti socialiste, La France insoumise plafonne d’une année sur l’autre à 6 %, soit un seul et unique député respectant ses obligations déclaratives. Mais il est vrai que le président du groupe avait déclaré, lors de l’examen du projet de loi confiance dans la vie publique, « Le problème de la confiance du public, c'est-à-dire du peuple, dépendrait du comportement des parlementaires ? Eh bien, je n'hésite pas à vous dire: c'est une honte que de le prétendre. » Pour rappel, avec seulement 6 % des sondés et 69 % chez leurs militants, ce parti ne s’est pas illustré en matière de lutte contre la corruption.

Égalité parfaite entre le groupe gauche démocratique et républicaine et les non-inscrits : il n’y a aucun député qui respecte ses obligations déclaratives. Patchwork de députés, appartenant à divers courants politiques, dans le groupe Liberté et Territoire, on est au même niveau que chez UDI-Agir et indépendants, avec un seul député par groupe qui respecte ses obligations.

Enfin, on notera que les députés qui sont les plus actifs dans les médias et sur les réseaux sociaux sont rarement ceux qui respectent leurs obligations.

Face à ces chiffres que l’on ne peut que qualifier de catastrophiques, pour l’image même des parlementaires, on ne peut que s’interroger sur l’effectivité des organes de contrôle. Pourtant, ces organes de contrôle existent. Le premier d’entre-deux : la HATVP.

Quel bilan de la HATVP ?

Le sondage de l’IFOP indique 77 % des sondés pensent qu’on ne se donne pas suffisamment les moyens de lutter contre la corruption des élus et à la lumière des manquements que nous avons détaillés, il paraît difficile de leur donner tort. Si les parlementaires ont leur part de responsabilité, on ne peut pas non plus occulter le faible bilan de la HATVP en la matière.

Pourquoi cette autorité ne sanctionne-t-elle pas les députés ?

L’article LO 135-1 du code électoral indique que « Le fait pour un député d’omettre de déclarer une partie substantielle de son patrimoine ou de ses intérêts ou de fournir une évaluation mensongère de son patrimoine est puni d’une peine de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende », mais dans un dossier de presse du 19 octobre 2017, l’autorité caractérise l’omission substantielle par un élément matériel et un élément moral. Il faut à la fois que le député ait eu la volonté de frauder et que l’omission concerne une partie importante. Il est à noter qu’il s’agit d’une définition propre à la HATVP, qui semble avoir pour base légale, une décision du Conseil Constitutionnel.

Par ailleurs, il apparaît que l’autorité ne s’intéresse réellement qu’aux évolutions de patrimoine durant le mandat. Le 12 décembre 2018, la transmission de 15 dossiers au parquet national financier pour d’éventuels détournements de fonds publics a été opérée par la HATVP.

Si on ne peut que se féliciter de la diligence de l’institution sur la question de l’utilisation indue de l’indemnité de frais de mandat des parlementaires, on a énormément de mal à comprendre la souplesse dont elle fait preuve sur certaines omissions.

Sans aller jusqu’à dire que chaque député qui aurait omis un assistant parlementaire devrait voir son cas régler par un tribunal, il paraît curieux que des déclarations ne comportant aucune rémunération, n’aient pas alerté l’autorité. En septembre 2018, elle soulignait qu’aucune omission grave dans les déclarations de patrimoine des députés n’avait justifié de transmission au parquet. Toutefois, selon les chiffres que nous avons évoqués, nous avons 38 députés qui n’avaient pas déclaré l’intégralité de leurs sociétés et 47 leurs rémunérations complètes ou des indications précises permettant de comprendre qu’il n’avait pas d’activité professionnelle. Ceci ne semble pas constituer une « omission grave » selon la HATVP. Pourtant, le risque de conflits d’intérêts dans ces situations mériterait qu’on s’y intéresse de façon moins superficielle. Avec 45 agents, des moyens importants et un accès à la plupart à des bases de données fiscales, on serait en droit de penser que le travail d’analyse doit être assez simple.

En comparaison, il a fallu quatre jours entiers, par une seule personne, à l’aide de bases de données publiques, pour analyser les presque mille déclarations d’intérêts des députés[7]. Est-ce dire que la HATVP n’a pas accès aux bases de données fiscales ?

La limite du système est donc démontrée : la HATVP se focalise sur les déclarations de patrimoine et non sur les déclarations d’intérêts. En cela, elle se contredit elle-même. Comment promouvoir l’exemplarité et la probité des élus et diffuser « une culture de l’intégrité » si le seul document, publiquement accessible sans restriction, concernant un député ne fait pas l’objet du même contrôle que sa déclaration de patrimoine ?

Conclusion

77 % des sondés dans le sondage IFOP pour Projet Arcadie pensent que la France ne se donne pas les moyens de lutte contre la corruption des élus sous toutes ses formes. 68 % pensent que la situation ne s’est pas arrangée depuis l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron et du « nouveau monde » dans son sillage. C’est d’autant plus ironique quand on se rappelle que la première loi du quinquennat portait justement sur la probité dans la vie publique. Enfin, 50 % des Français déclarent ne faire confiance à aucun des partis en matière de lutte contre la corruption.

À la lumière de ce rapport, une question reste entière. Comment leur donner tort, lorsque l’on constate que seulement 61 députés sur 577 ne manquent pas à leurs obligations déclaratives et que les organes de contrôle affichent un si maigre bilan de leur activité ? Pire encore, on constate que les autorités de contrôle sont défaillantes, ce qui a pour effet d’accentuer la défiance envers les élus, y compris ceux qui n’ont rien à se reprocher.

Enfin, actualité oblige, ces chiffres devraient pousser les parlementaires à se poser la question de leur crédibilité quand, face à une personne qui arrive péniblement à boucler ses fins de mois, ils lancent des appels à l’effort.

Adepte des formules, le président de la République fustigeait, lui aussi, il y a quelques jours le « sens de l’effort » qui manque à une partie des Français. Voici une autre formule qui, l’on espère, arrivera aux oreilles des parlementaires : « Charité bien ordonnée commence par soi-même ».

 

 

[1] Cette distinction entre corruption blanche, grise et noire a été introduite par Arnold Heidenheimer.

[2] Certains sièges étaient vacants.

[3] La déclaration d’intérêts de Mme Victory, suppléante de M. Dussopt n’était pas encore disponible.

[4] Il s’agit des suppléants ou de nouveaux députés pour lesquels, la déclaration d’intérêt n’était pas encore disponible au moment de la réalisation de l’étude.

[6] L’analyse de 2019 a permis de relever certains manquements, qui n’avaient pas été mis en évidence lors de la précédente étude de 2018.

[7] Au prix, tout de même, d’une consommation importante de café.